mardi 14 février 2006

Un moment d'égarement.

J'ai toujours lu, depuis que je fais de la musique et ça commence à faire, beaucoup de conneries sur mon compte et sur le compte de mes projets.
Je ne vais pas en faire ici l'inventaire, depuis mon premier groupe, en passant par Diabologum ou PPE. Il y a juste une répétition assez déprimante dans la forme ou le fond:
-ceux qui ne comprennent rien et qui le formulent mal, de manière positive ou négative.
-ceux qui prennent plaisir à descendre connement, par intérêt personnel ou simple bêtise.
Heureusement, il y en a toujours pour saisir le pourquoi du comment et l'écrire avec un minimum (et parfois un maximum) d'envergure. Hier, et encore aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, j'ai appris à regarder ces "critiques" de loin.
Je suis tombé aujourd'hui sur une chronique qui a quand même réveillé chez moi un sentiment de colère et j'en remercie finalement l'auteur car ce sentiment est très utile pour me permettre d'exercer ce que certains appellent "mon métier".
La chronique en question se trouve ici
En détail:

***La révolution sera dialectique ? Négative karaoke with a gun / Positive karaoke with a smile, c'est le titre du dernier objet dyptique propulsé par Expérience, la formation de Michel Cloup post-Diabologum. Ils doivent être lassés de la référence, ceux qu'on désigne toujours par rapport à Programme, comme tangente aux machâges de cerveau habités d'Arnaud Michniak, comme si on ne pouvait pas reconnaitre leur autonomie, celle qui les a vu s'exposer fragiles et fébriles, "aujourd'hui, maintenant", puis cherchant à "traquer la fièvre, massacrer l'ennui" sur deux albums qui valent d'être connus. Pourtant avec Negative karaoke..., échec dans l'exercice de l'album de reprises, qui se voit doublé d'un DVD d'extraits de leurs lives, paradoxalement, Expérience s'affirme plus que jamais comme un groupe singulier, témoin et symptôme.***

Tout d'abord, il me semble, après avoir cherché, qu'aucun de nos deux premiers albums n'aient été chroniqués, en bien ou en mal, dans ce webzine. J'ai l'habitude que mes nouveaux albums soient descendus par des chroniqueurs qui préféraient les anciens mais n'en ont jamais parlé.
"(...)lassés de la référence, ceux qu'on désigne toujours par rapport à Programme, comme tangente aux machâges de cerveau habités d'Arnaud Michniak (...)" Parle pour toi Camarade, je n'entend rien. Arnaud Michniak est un de mes meilleurs amis et nous avons développé un concept ensemble pendant plusieurs années sous le nom de Diabologum. Que son nom revienne régulièrement n'est pas une gêne mais un honneur.

***Tu ne pourras pas allumer le poste et regarder les flammes embrasser ton quartier / Tu ne pourras pas oublier ta réalité dans celle des autres (...) / La révolution ne sera pas sponsorisée par Coca, Nike ou Mecca Cola (...) Tu ne verras pas les principaux responsables des partis de gauche appeller au calme et à la raison (...) Le générique ne sera pas interprété par Rage Against The Machine featuring Eminem, Bono & Beyonce / La révolution ne te rendra pas sexy & attrayant / La révolution ne te donnera pas une belle couleur de cheveux / La révolution ne te fera pas perdre cinq kilos avant l'été / - (parce que la révolution ne sera pas télévisée)".***

Ok, citation, toujours nécessaire dans une dissertation.

***Avec cette énième relecture de Gil-Scott Heron, la révolution ne sera pas musicale non plus. Car il y a un problème : la quinzaine de reprises (de Shellac à ODB en passant par Bonnie Prince Billy) de Positive karaoke with a gun a tendance à sombrer dans une approximation et une gaucherie musicale qui met mal à l'aise quand on pense aux moments d'intensité post-adolescente d'Aujourd'hui, maintenant et autres fractures manifestes du type La question ne se pose pas. Pour le dire sans détours, ce groupe qui s'appelle Expérience n'en offre ici plus aucune de majeure. Jamais le brouillage ni le brouillonnement ne s'y élevent vers le geste de dissonance authentique et dérangeante, vers le punk. Jamais la répétition d'une lontaine spontanéité rock ne ravive l'urgence à proprement parler. Le "parler-chanter" de la déclinaison de Qu'est-ce qu'on attend ? de NTM déconcerte par son déficit de charisme en comparaison des flows interpellants, quoiqu'on en dise, de Kool Shen & Joey Starr. De manière plus générale, les variations et la nouvelle production laissent surtout une impression pénible, la force mélodique de certains originaux s'embourbe. L'anti-love song de Pil est ainsi doublée sans plus-value d'un refrain électronique sur pied : cette nouvelle version, même pas plus marquante que celle qu'avait réalisé Nouvelle Vague, prouve que décidement, fallait pas toucher à un original déjà ultime.***

Un avis personnel, que je ne partage pas, mais mon avis, on s'en fout.

***Il en est de la musique comme du discours : Expérience semble se condamner et s'épuiser lorsqu'ils approchent le contestaire. Malaise de ce qui ressemble à un marxisme déplacé, décalé, des râles prolétaires aspirés dans les flux de communications contemporains, zappés. Oui, regardez Expérience passe à la télé espagnole ! Et répète ad absurdum "pauvres petits occidentaux". Alors quoi, pour un groupe qui clame "la révolution ne sera pas télévisée" ? Ironie, triste déviance de démarche, non-contradiction, sabotage d'un système de l'intérieur ? Non, juste une "voix de garage perdue dans le brouillard", l'intervention d'un sursaut. Vain ? Oui, sans doute, personne n'est dupe. Merci pour votre chanson, maintenant on va passer à l'exploitation du temps de cerveau disponible de nos spectateurs, en vous remerciant.***

On arrive au coeur. Le garçon a lu "la société du spectacle", qu'il nous paraphrase gentiment. Merci mon gars, moi aussi je l'ai lu et je sais pertinemment ce que je fais. Si tu as compris et apprécié nos deux premiers albums, tu aurais du t'en rendre compte. Il y a dans mes textes (d'hier et d'aujourd'hui) cette conscience de l'absurdité de tout geste, qu'il soit artistique ou pas, ainsi que de son aspect vain. Je sais que ce que je raconte sur un plateau de télévision, ou même que ce que j'y fais n'aura aucune incidence sur la suite du programme en cours. Je connais l'impact de nos disques, ou plutôt leur inutilité et j'en ai plusieurs exemples différents chaque jour (dont celui-ci). Comme d'habitude, on me fait la leçon, tout comme MTV s'est déclarée déçue que nous ayons fait un clip sur "La révolution ne sera pas télévisée". C'est l'hôpital qui se fout de la charité. Et ça ne fait tiquer personne car c'est précisément de cette manière-là que le monde tourne, et ce de plus en plus.
Il me semble plutôt chercher autre chose à travers ça, à travers la musique, à travers ces milliers de kilomètres de tournées incessantes, à travers cette transpiration inutile, une issue heureuse, un épuisement certes vain, mais libérateur, apaisant.

***Mais quelque chose se passe dans l'image de Michel Cloup, cet homme trentenaire d'apparence commune, avec un côté Bertrand Cantat déphasé - où se situe exactement la différence avec la lecture d'une lettre ouverte et vindicative adressée à leur maison de disque Universal, sur le même médium, pour la cérémonie des Victoires de la musique ? Ils ressemblent à des symptômes anecdotiques dans le mouvement d'un système qui récupère parfaitement sa critique, voire l'assimile comme une nourriture supérieure, gagne en énergie au contact de toute épreuve des valeurs qui indirectement tendrait à le dépasser - la critique de la critique, le présent discours, tout finit par participer d'un entertainment global. Comme un signe de la l'irréelle réalité de la Société du spectacle énoncée par Debord ; en définitive, un moment d'Expérience télévisé = faux grain de sable = ouverture d'une faille aussi vite resorbée.***

Ne comparons pas l'incomparable, cher ami. Laisse Bertrand Cantat tranquille, s'il te plaît. Merci pour ton topo sur la récupération mais une fois de plus, j'étais déjà au courant, depuis longtemps. Je ne sais pas qui de nous deux développe le plus des propos mille fois entendus et éculés (et vains). Quant à savoir où est le vrai du faux (grain de sable), c'est un débat d'une autre époque et d'un autre âge (je suis sans doute plus vieux que toi).

***Mais c'est cette faille à l'impact relatif qui nous attache toujours plus à Expérience. Avec son ombre portée sur l'intime, visible sur le DVD avec un florilège de leurs chansons, une présence humaine sur scène (pas de chorégraphies pour Michel), pas de contenus excentriques mais une proximité et une sensibilité qui plaira aux amateurs, entre polaroids et répondeurs téléphoniques, balances, voyages et ambiances vagues, il reste le sentiment d'un groupe sincère, pour qui vraisemblablement "seule la musique est un soulagement", mais qui cherche sa place, attend l'heure où son engagement pourrait prendre un autre sens que celui du désarroi.***

Je n'ai que faire de ton attachement et s'il te plaît, laisse le désarroi de côté. ça fait plus d'une dizaine d'années que je goûte à ce plaisir qu'aucun de vous, chers chroniqueurs, ne pourra ternir ou entacher. Même si la route est longue et semée d'embûches, même si l'incompréhension est toujours majoritaire, elle l'est partout et pas seulement vis à vis de nous, poussières dans cet univers vide et glacé, comme le bleu de ta page web. Je n'ai aucune autre prétention que d'essayer de tenir un propos un peu différent mais surtout honnête, avec mes certitudes, mes doutes et mes échecs. Toi qui a sans doute l'impression de comprendre et de maîtriser parfaitement les mots "Alternatif" et "Indépendant" n'a qu'une approche artistique, théorique et lointaine du sujet. Je pense avoir une approche pratique du sujet, une "expérience" du terrain, et je peux te dire que tu n'imagines même pas à quel point ce terrain est glissant et boueux. Car en plus de questions métaphysiques ou politiques, il y a des préoccupations bassement matérielles dans ce choix de vie. Ce choix, je n'ai aucun mérite à l'avoir fait, mais comme je l'ai dit plus haut, je prend malgré tout beaucoup de plaisir à l'assumer. Qui, dans ce contexte hautement dépressif et résigné, pourrait se plaindre d'avoir construit une micro-société qui fonctionne plutôt pas mal, non parce qu'elle est rentable mais parce qu'elle est humainement enrichissante? Qui pourrait se plaindre de traverser en permanence plusieurs pays d'Europe avec ses meilleurs amis en n'ayant en tête qu'une seule chose : le concert du soir?
Le plus beau compliment que nous ayons reçu ne vient pas d'un journaliste mais d'un jeune homme qui est venu nous voir à la fin d'un concert. Il nous a dit: "Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point votre musique me fait du bien quand je rentre après une journée de chantier." Certes, tu vas encore parler de complicité avec le monde du spectacle et son système d'asservissement, mais sans doute parce que tu n'as pas vu la lueur qu'il y avait dans ses yeux au moment où il a prononcé ces mots.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour moi aussi ta musique me remplit et je ne le dirai jamais assez.

WuKish a dit…

En lisant cet article, j'ai fais des recherches et vu cela : http://www.audition-prevention.org/site/temoignages/temoignage_sandrine_1992.php

C'est pas bien de faire du mal aux pauvres petits occire-dentaux...

Un anonyme qui sera demain au concert.

Anonyme a dit…

Michel,

Je suis l'auteur de cette chronique sur Infratunes. J'entends bien tes critiques dans l'ensemble. C'est un défaut de ma chronique de penser que tu as pu etre lassé des raprochements avec Arnaud, dont j'apprécie beaucoup la musique - ma chronique élogieuse de Mon cerveau dans ma bouche aura eu j'espere un meilleur effet. Et c'est effectivement une lacune que de n'avoir pas encore chroniqué les précédents. Au moment où on m'a proposé de recevoir Karaoke, je me suis dit "super, une occasion de parler d'eux" et je ne soupçonnais pas quelle serait ma deception (surtout que j'ai beaucoup aimé le mp3 EXP).

J'ai l'impression que dans le fond, on se rejoint, et que simplement le fait que ce soit une chronique qui globalement, dit du mal du disque en dégrade le sens.

Après mon petit Debord digest, je conclus en disant qu'on s'attache toujours plus à Experience. Cet attachement ne doit pas etre interpreté comme de la condescendance. C'est l'expression de mon souvenir d'avoir été profondement touché par Aujourd'hui maintenant, me reconnaissant peut etre dans "les certitudes, les doutes et les échecs", l'authenticité que dégage ce disque.

Je pense bien que tu sais ce que tu fais quand tu dis "la revolution ne sera pas télévisée". Je pense bien que tu te rends compte de la portée de ton "pauvres petits occidentaux" sur le plateau télé. Il faut prendre ma chronique non comme une attaque contre votre démarche, mais comme un constat. Sceptique, et désemparé : qu'est-ce qui peut encore avoir une valeur politique ? Pourquoi le fait d'avoir conscience des limites de son action ne change rien au fait que cette action ne semble avoir aucune incidence ?

En fait, plutot que de remettre en cause ton intégrité, je n'arrivais pas à comprendre que tu trouves un sens à faire ce que tu fais alors que tu sais tout que cela revient probablement à du spectaculaire (pour faire pompeux) sans lendemain. Le "désarroi" est aussi le mien.

L'attachement dont je parle est peut-être, en moins fort puisque je ne suis pas prolétaire mais simple étudiant de classe moyenne, similaire à celui de cet homme dont tu parles : quand bien meme je n'y crois pas, ça a une valeur pour moi, individuellement, d'entre quelqu'un dire "sache que nous sommes des millions..." ou "essayer".

Bref, si on est pas d'accord sur l'intéret musical de ce Karaoke, mon intéret pour Experience en général subsiste, et si ma chronique ne le fait pas bien apparaitre, j'accepte de remettre en cause ma façon de faire passer ce que je pense.